Il y a, selon moi, quelque chose d’inconcevable, en psychanalyse. C’est le silence manipulateur, le silence castrateur du psychanalyste, le silence sur-joué. C’est un silence qui selon moi, s’identifie à un jeu pervers, du mauvais théâtre de boulevards.
J’ai entendu récemment dans un soi-disant cours de psychanalyse, au sujet d’un cas d’école difficile :
« il faudrait installer plus de silences, vous voyez, la castration ! …. »
La neutralité avant tout !
Alors non ! C’est oublier la nécessaire neutralité bienveillante du psychanalyste. Et le premier terme, neutralité revêt toute son importance dans l’itinéraire thérapeutique.
Pour reprendre la terminologie barthesienne, le neutre suspend le paradigme majoritaire, masculin, celui qui fait autorité, le jugement…
Et c’est dans cette finesse de l’analyse barthesienne qu’il faut comprendre cette neutralité bienveillante du psychanalyste ! Le psychanalyste, s’il est véritablement engagé dans le soin, et non dans l’autoritaire guérison, postule dans l’entrelacs des inconscients, ce neutre avant toute chose.
Il est bien évident qu’il n’est jamais atteint. Mais son écoute ne peut se construire qu’uniquement dans un désir de neutre sous-jacent.
Il est nécessaire de se préserver de l’arrogance, et rejoindre cette oscillation délicate qui permet le transfert : s’autoriser un pas de côté, une réserve non-jugeante.
Mais quel silence installer en psychanalyse ?
Il faudrait plutôt entendre quel silence s’installe en psychanalyse ? Celui de l’écoute bien sûr ! Le silence s’envisage ainsi comme un lieu, le lieu où repose la parole du patient, le lieu de la libre association, le lieu où la parole pleine surgit. Ce silence n’est certainement pas le lieu d’une conversation, qui laisserait aller un verbiage, une parole vide, sans consistance. C’est un lieu où repose l’Etre.
Il y a une réelle asymétrie qu’impose le cadre entre ce silence bienveillant et la parole du patient à qui il est enfin permis d’être.
Ce silence, bien qu’il puisse être perçu par le patient comme une consternation, s’impose plutôt comme un acte de parole. C’est une non-réponse à tout ce qui relève de la mondanité ou de l’opinion. Et peut entraîner par écho chez le patient adaptation et légèreté : le monde est moins lourd.
Au fur et à mesure de l’analyse, le thérapeute glisse vers l’écoute flottante, ou plutôt l’attention flottante, laissant libre cours tant à la répétition qu’à l’événement : il s’autorisera d’être surpris par tel lapsus, telle métaphore, tel symbolisme qu’il pourra mettre en exergue délicatement.
Ce silence est herméneutique. Il permet ce cheminement interprétatif entre les signes et les symboles tout en ne tentant pas d’imposer la révélation d’un Saint Graal ! Ce serait péremptoire et contreproductif. Restez neutre surtout ! Car c’est au patient de se dire donc de se créer.
Le silence : lieu des élans pulsionnels
Ce silence donne lieu enfin au déploiement des élans pulsionnels. Dans le cocon feutré d’un cabinet, se cachent le monstrueux, le refoulé, le désir primaire, ce qui fait angoisse, ce qui fait culpabilité. Et ce silence, celui de la psychanalyse, permet justement que la parole progresse vers cet impossible. Car il est à la fois sans opinion ni jugement : il se refuse à l’opinion, à la morale. Surtout, c’est là l’effet de la neutralité. Il se refuse d’y répondre, mais laisse au patient la possibilité de déplacer ses éléments primaires vers l’émerveillement, le plaisir de la découverte que peut susciter l’analyse.
Tout autre pratique du silence, tel un mutisme exagéré, pseudo-lacanien ou un silence sur-joué s’apparente, selon moi à du sadisme ou de l’abus de pouvoir, manifestation incroyable de la toute-puissance de l’analyste et j’oserai même, à de l’esbroufe !